Dans Bénédito drame sans parole, la maison-théâtre écrit la situation. Bénédito est enfermé. Il tient le lieu ; Il balaie, nettoie, mange, dort. Quand il veut s’échapper, les coulisses le ramènent toujours au-devant. La magie de l’objet théâtre est implacable. Les spectateurs sont témoins, le rapport est ouvert, ils sont libres d’empathie. Bénédito doit comprendre par lui-même que le théâtre n’est pas sa prison, mais un lieu d’apparition. Il connaîtra la liberté de devenir un poème inscrit dans les murs.
Dans Une si belle fin de journée, le lieu est l’appartement, la maison, la villa. L’espace où des gens vivent. Nous réadaptons la mise en scène à chaque appartement pour le temps d’une soirée. Nous frottons avec l’intimité des habitants en calquant le récit de leurs vies sur celui de Raoul et Pauline, un couple ordinaire sans enfants. Chaque intérieur visité apporte de nouvelles couleurs. La proximité des spectateurs rend l’acte théâtral grisant, fort, intriguant, questionnant. Et la magie opère. Pauline utilise la cuisine, prépare un plat de lentilles. Raoul utilise la télé, le fauteuil, les volets. Simone, la visitante, utilise la sonnette d’entrée...
Dans Ne reste pas dans mes jupes l’espace urbain garde son rôle social. Il est libre de recevoir en son sein des êtres privés de cellule intime et familiale. Nous ne faisons que creuser encore un peu plus les endroits déjà investis par les gens de la rue. La figure poétique de Gaspard, ancien clown du cirque Gasparo, vient éclairer le questionnement des regardants. C’est une figure écrite pour être entendue dans l’espace public ; ce qui n’est pas habitable mais demeure la ville : les squares, jardins publics, parvis d’église...la ville garde jalousement la figure dans son ventre.
Pour La nuit de Domino, nous revenons à la maison-théâtre. Domino est un être de plateau. C’est là qu’il vit. Pour être exact, Stephan, dont Domino est le double théâtral, est en vie au plateau. Sa parole devient exemplaire. Elle lui permet d’habiter encore un peu plus cet espace où un lit, un frigo et un tabouret témoignent d’une vie de couple passée. La mémoire d’un amour continue de se raconter en direct, face aux spectateurs qui prennent autant la valeur du disparu que celle de leur propre histoire. Domino est là, avec eux. C’est un délicieux mélange de relation qui s’invente pas à pas.
Avec Précieux(ses) le grand bureau des merveilles, il s’agit d’ouvrir les espaces de la manière la plus ludique qui soit, à la mesure de la frénétique verve de la langue de Molière. Nous inventons une télé-réalité in situ. Nous capturons un lieu, nous le travestissons en folie télévisée. Bien sûr c’est un leurre, nous n’aurons pas tout l’appareillage des plateaux télés. Mais le plaisir de s’y voir avec quatre projecteurs, une table, un écran et la frénésie du jeu, seul mobile assez vertigineux pour emporter le sujet dans le cœur des spectateurs, suffit à nous mettre en joie. Nous investissons tout espace et nous savons que cela fera sens : la maison théâtre, le roof-top, le jardin public, la maison de quartier, la résidence de luxe, le paquebot de croisière, le préau d’un collège, l’hôtel particulier, la maison de retraite... Le spectateur prend la valeur d’un téléspectateur assistant à la mise en abîme des personnages dans un lieu de vie factice.
Pour L’Uruguayen de Copi, à nouveau la maison-théâtre s’impose. L’énonciation fait se lever de nombreuses figures, de multiples paysages et atmosphères, mais tout émane de la tête d’un homme seul, peut-être incarcéré. Dans un étroit espace architecturé par quatre verticalités, l’homme parle et déroule une profusion d’images. Invente-t-il une fiction pour se maintenir en vie ? Les tâches utilitaires rythme sa présence comme sa voix : boire, manger, se laver, dormir, faire de l’exercice. Le théâtre comme abstraction ouvre l’espace des visions énoncées. Le son et la lumière deviennent deux partenaires cohabitants avec l’être parlant. La scène est le meilleur réceptacle de la réécriture corporelle de cette voix. Les images sont luxuriantes, les situations cruellement fantasques, il faut laisser l’imagination décoller de la parole.