Le commencement
Dans ma famille, une longue histoire de voyages et d’exils se transmet depuis des générations. Mes parents continuent cet héritage. Jusqu’à mes 10 ans, nous vivons en Australie, en Iran, en Irak. Mon caractère fragile se nourrit de solitude où la chambre devient le lieu sacré des apparitions.
Le choc
Nous sommes à Esfahan, en Iran, pendant la fin de l’empire du Chah, à la veille de la révolution islamique de l’Ayatollah Khomeiny. C’est un pays sous tension. Au sein de l’école laïque française, ma mère fait partie du groupe de théâtre amateur. Elle joue Marthe dans “Le malentendu” d’Albert Camus, un rôle sombre. C’est une pièce sur l’exil, l’enfermement, et la mise à mort de l’étranger. Pour moi, c’est la naissance de l’école du spectateur face à un mystère insondable. Ma mère apparaît comme transfigurée. Je suis fasciné par le déplacement qu’elle a su produire en moi. Quelque chose s’est passé.
L’apprentissage
On peut naître deux fois. Une fois du ventre de sa mère, une autre fois à soi-même.
François Cervantès « La table du fond ».
Nous revenons en France après un rapatriement dans l’urgence. A peine arrivé dans un monde que je ne connais pas, la timidité prend un parfum d’autisme. Je reprends une scolarité et choisis l’art dramatique comme activité extra-scolaire. À onze ans, je rejoins le cours de Sophie Laurence, une femme engagée et implacable. Son enseignement me sauve de l’enfermement. C’est une seconde naissance. A quatorze ans le choix est fait : je serai comédien. S’ensuit la grande aventure de l’apprentissage, en parallèle avec l’enseignement scolaire classique.
L’engagement
A la suite du baccalauréat, devenu élève professionnel au Théâtre de Haute Provence, la troupe de mon professeur, je participe à plein temps à l’aventure de décentralisation de la compagnie. Le THP est installé dans un théâtre à l’italienne municipal, dans les Alpes de Haute Provence. Nous y créons et y jouons les spectacles. L’aventure est totale. Il s’agit de fidéliser un public parsemé dans la région. L’été, nous tournons un répertoire varié, en autonome, dans les villages du 04.
Le chemin autodidacte
Le service militaire vient rompre la collaboration avec le THP. Il est temps de quitter le nid. Je suis vu comme “trop formé” pour les écoles d’enseignement supérieur d’art dramatique. Je me lance dans un parcours autodidacte et vis de belles aventures artistiques. Je retiens “l’école des femmes” de Molière dans une énergie Commedia dell’arte avec les Carboni, ma première création « Le jeu de Don Cristobal », farce pour marionnettes de F.G.Lorca, “Orgie” de P.P.Pasolini, “Trahisons” de Harold Pinter et l’aventure magnifique des Taxi-théâtres, avec le Théâtre 27, La participation à la création de fin d’étude de Tomas Ostermeier, « Recherche Faust-Artaud », à Berlin, La création de la Compagnie Pirenopolis et de “Bénédito drame sans parole”, un poème théâtral que j’écris et joue, sur le thème de la prison intérieure et du partage de sa différence.
La bascule
La mort de mon compagnon, complice de vie et de scène, arrête le temps. Il y aura un avant, et un après. La quête s’ouvre sur un questionnement existentiel. C’est dans cette césure de vie que je rencontre François Cervantès et la compagnie L’Entreprise. Une collaboration de dix années s’engage. J’ai la sensation de trouver ma famille artistique. Nous cherchons l’endroit où les couches de l’existence cohabitent, nous frottons avec l’invisible, nous développons une autre manière d’être en relation au plateau, au monde. Peut-être l’endroit où tout commence... Je deviens membre du collectif d’artistes de la compagnie L’Entreprise, je participe aux créations et au développement du répertoire ; une immersion guidée par François Cervantès pour une œuvre qui s’écrit au fur et à mesure de notre pratique. De cette recherche naît le désir irréversible de contacter la vie plutôt que la représentation.
La compagnie Pirenopolis
La nécessité de mener des projets artistiques de bout en bout m’amène à créer une structure. Je veux creuser le mystère de la présence, de l’alchimie du jeu, et de la relation à l’autre, par l’écriture dramaturgique. La culture brésilienne fait partie de ma vie de par l’origine de mon amour défunt. Je choisis de donner le nom à la compagnie d’une ville que nous avions choisie comme sanctuaire, en plein centre d’une réserve naturelle, à deux heures de Brasilia : Pirenôpolis. Je crée “Une si belle fin de journée” et “Ne reste pas dans mes jupes”, de Dominique Delgado, les deux premiers volets d’un projet in situ nommé “La Trilogie Del’Gado”. En parallèle de mon engagement au sein de la compagnie L’Entreprise, j’écris et crée “La nuit de Domino”, un monologue autobiographique sur le deuil de l’amour.
Le renouveau
Une période de changement s’engage au sein de la compagnie L’Entreprise. Je décide alors de redéfinir les axes de la Compagnie Pirenopolis : création et transmission. Naît le projet de “Précieux(ses) le Grand Bureau des Merveilles”, d’après “Les précieuses ridicules” de Molière, l’occasion de renouer avec l’esprit du théâtre de tréteaux.
Puis un vieux désir posé dans la mémoire refait surface : poser au plateau l’énigmatique et subversif texte de Copi « L’ Uruguayen », pour un seul en scène radical et sensiblement politique. En filigrane et à plus long terme, l’entrée dans un chantier d’ écriture/mise en scène d’un projet auscultant la bêtise sociale, le raté des relations, les conséquences de la petitesse d’esprit de la petite à la grande histoire, déjà intitulé « Je vous souhaite une belle soirée ».